Rusty Rabbit marque un tournant surprenant dans la carrière de Gen Urobuchi, créateur emblématique de Madoka Magica et Psycho-Pass. Ce jeu, où un vieux lapin mécano parcourt un monde post-apocalyptique dominé par des rongeurs parlants, mêle humour, nostalgie et émotion personnelle, loin des récits sombres auxquels l’auteur nous avait habitués.
Un projet né d’une passion personnelle et d’un deuil
Le développement de Rusty Rabbit s’est imposé comme un projet profondément personnel pour Gen Urobuchi. Conçu pendant la pandémie, il associe une esthétique rétro et une démarche introspective. L’auteur s’est appuyé sur Unity pour créer, presque en solitaire, un jeu qui rend hommage à son amour d’enfance pour les objets tangibles et les vieux jouets.
L’inspiration principale vient d’une scène marquante : un jouet Sylvanian Families dans une armure mécanique rouillée. Ce contraste entre innocence et acier désuet symbolise l’univers de Rusty Rabbit. Le personnage principal, un vieux lapin grincheux mais attendrissant, reflète aussi une douleur intime : la perte du père d’Urobuchi pendant le COVID-19.
Malgré cette touche mélancolique, le jeu évite une atmosphère pesante. Loin du ton sombre de Saya no Uta, Urobuchi a injecté de légèreté et beaucoup d’humour, rendant hommage à ses influences tout en abordant la question du vieillissement avec douceur.
Un monde dominé par des lapins et des secrets gelés
Rusty Rabbit plonge les joueurs dans un monde où les lapins ont pris le contrôle de la planète. Ce renversement d’ordre mondial n’est pas qu’un détail loufoque, mais un mystère volontairement laissé flou par Urobuchi pour nourrir l’intrigue. Il évoque deux indices clés : « il fait trop froid » et « la douceur triomphe », laissant entendre que l’environnement glacé du monde évoque un danger plus vaste.
Là encore, le jeu prend le contre-pied des récits dystopiques classiques : les lapins, au lieu d’être de simples créatures mignonnes, incarnent une forme d’autorité étrange mais séduisante. Ce contraste entre leur apparence douce et la dureté de leur monde crée un décalage poignant, amplifié par la solitude mécanique dans laquelle évolue le héros.
Une performance vocale risquée mais réussie
Côté interprétation, Rusty Rabbit frappe fort en confiant le rôle principal à Takaya Kuroda, célèbre pour avoir incarné Kazuma Kiryu dans la série Like a Dragon. Urobuchi confie avoir hésité à choisir cette voix si emblématique d’un yakuza austère pour un vieux lapin râleur. Pourtant, le défi est relevé avec brio.
Kuroda apporte une profondeur inattendue au personnage principal, réussissant à maintenir sa gravité tout en rendant le lapin sincèrement attachant. Ce travail vocal contribue à l’identité unique du jeu, mêlant comédie, émotion et philosophie sur fond de métal rouillé et de neiges éternelles.
Le retour des visual novels sous une forme nouvelle
Rusty Rabbit n’est pas un visual novel au sens classique, mais son ADN narratif en est largement imprégné. Urobuchi explique que l’écriture introspective, propre à ses récits passés, est toujours au cœur de cette aventure Metroidvania. Pour lui, les visual novels doivent aujourd’hui trouver de nouvelles manières d’émouvoir, dans un monde où lire sur écran est devenu instinctif.
Avec Rusty Rabbit, il cherche à préserver cette essence en la transposant dans une expérience plus interactive. Le jeu n’impose pas de convictions, et comme dans ses récits précédents, les personnages trouvent leurs réponses non pas dans une religion ou un idéal collectif, mais en eux-mêmes, à travers leurs épreuves intimes.
Des souvenirs d’œuvres marquantes toujours présents
Gen Urobuchi revient aussi sur ses classiques. Concernant Saya no Uta, souvent qualifié de jeu le plus dérangeant jamais écrit, il admet avoir traversé une phase très provocatrice au moment de sa création. Il craignait être allé trop loin dans l’humour noir, mais les retours enthousiastes des joueurs l’ont rassuré sur l’impact émotionnel de son œuvre.
À propos de Madoka Magica, il nuance la supposée originalité de l’œuvre. Pour lui, ce sont surtout la collaboration artistique et la direction qui ont permis au projet de devenir unique. Il évoque aussi la relation entre Madoka et Homura, admettant qu’il existe des formes complexes d’attachement émotionnel entre jeunes filles — même si, selon lui, sa vision est influencée par l’âge et la nostalgie de l’auteur qu’il est devenu.
Une œuvre artisanale disponible sur toutes les plateformes
Rusty Rabbit est désormais disponible sur PS5, Xbox Series, Nintendo Switch et PC. Ce projet, mené par passion, combine esthétique rétro, gameplay innovant et narration subtile avec l’ambition de proposer une expérience inédite dans le paysage vidéoludique actuel. Urobuchi y trouve une liberté créative retrouvée, entre souvenirs d’enfance et expression d’auteur désormais mature.